Ivresses poétiques

Une ivresse poétique est un récital consacré à l’oeuvre d’un·e poète·sse, ou à un répertoire poétique cohérent, exécuté en direct devant le public, par un·e musicien·ne et un·e comédien·ne réuni·es spécialement pour l’occasion.
Ce sont des formats courts, des miniatures d’une heure environ, dont le rapport et l’allure sont celles d’un petit concert de musique de chambre. Au dispositif simple et franc des interprètes et de leur instrumentarium, s’ajoute un dispositif d’éclairage léger, visant à favoriser l’écoute des spectateurs. L’expérience est dans la performativité du poème.
La partition musicale et la performance vocale font l’objet d’une création spécifique à chaque programme de textes choisis (chaque récital). Ces derniers sont produits par la compagnie de théâtre Ultima Necat, en partenariat avec l’Espace Koltès scène conventionnée d’intérêt national de Metz, et sont portés à son répertoire.

#7 Emily Dickinson
Violon préparé, électroacoustique: Émilie Weber

Voix: Lee Fou Messica
Voix: Gaël Leveugle

 

L’eau est révélée par la soif –
La terre – par les océans franchis –
La joie – par les affres –
La paix – par les récits de batailles – 
L’amour – par la tombe fraîche – 
Les oiseaux – par la neige.

 

#6 Le Pontormo
Composition musicale: Jean-Luc Guionnet

Danse: Lotus Edde Khouri
Voix: Gaël Leveugle

…QUE J’AI FAIT DE MA MAIN…

j’ai soupé une tarte avec de la viande que j’ai faite de ma main.
Quelques repères :
Vu l’ange qui tourne la tête après avoir fait son boulot : « maintenant c’est à vous de jouer » (l’annonciation).
Vu l’homme en rose qui regarde la caméra… (tout en bas de la déposition, portant les jambe du christ).
Vue l’étude pour une madone et l’enfant… leçon de geste au fusain ?
Vue la géométrie de la visitation inoubliable ou renversante ou prise dans un temps qui ne serait pas son présent.
Lus les commentaires de Vasari si louches qu’ils ne donnent qu’une envie : aller y voir de plus près — tant de ressentiments ne peuvent qu’avoir une source intense.
Pas vue la fresque qui lui a pris les 10 dernières années : recouverte par une autre… une fois lui mort… un enchevêtrement de corps, une chorégraphie que l’on ne saura jamais — San Lorenzo.

jeudi gras j’ai soupé chez bronzino
et j’ai fait le torse de cette figure qui est comme ça (–> dessin)
vendredi j’ai soupé deux œufs, du fromage et des figues sèches.

#6 Walt Whitman
Composition musicale: Ruben Tenenbaum
Voix: Gaël Leveugle

L’air n’est pas un parfum…{…} il est inodore,
Il s’offre éternellement à ma bouche… J’en suis épris,
Je veux aller sur le talus près du bois, j’ôterai mon déguisement et me mettrai nu,
Je brûle de sentir son contact.

La buée de mon propre souffle,
{…} Mon expiration et mon inspiration… les battements de mon cœur
Le passage du sang et de l’air dans mes poumons,
Le son des mots éructé par ma voix… mots livrés aux tourbillons du vent, des baisers à la dérobade… des étreintes… des bras qui enlacent

#5 Pasolini
Composition musicale: Lionel Marchetti et Mathieu Chamagne
Voix: Gaël Leveugle

Si – ne les voyant plus depuis deux jours à peine
maintenant, à la fenêtre, à les revoir, un bref
instant, là-bas, ignorés et sans apprêt,

alors qu’ils montent dans un soleil blanc comme la neige,
j’ai du mal à contenir des pleurs d’enfant –
que ferai-je, quand, ayant recouvert toutes mes dettes,

ici-bas, se sera perdu le dernier râle
désormais depuis mille ans, depuis l’éternité ?
Deux journées de fièvre !



#4 Arthur Rimbaud
Piano: Sophie Agnel
Voix: Gaël Leveugle

Jeunesse, IV

Tu es encore à la tentation d’Antoine. L’ébat du zèle écourté, les tics d’orgueil puéril, l’affaissement et l’effroi.
Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s’offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d’anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.




#3 R.M. Rilke
Accordéon: Emilie Škrijelj
Voix: Lee Fou Messica & Gaël Leveugle

Oh! bienheureuse la petite créature
qui toujours reste dans le sein dont elle est née;
bonheur du moucheron qui au-dedans de lui,
même à ses noces, saute encore: car le sein
est tout.  Et vois l’oiseau, dans sa demi-sécurité:
d’origine il sait presque l’une et l’autre chose,
comme s’il était l’âme d’un Etrusque
issue d’un mort qui fut reçu dans un espace,
mais avec le gisant en guise de couvercle.
Et comme il est troublé, celui qui, né d’un sein,
doit se mettre à voler!.  Comme effrayé de soi,
il sillonne le ciel ainsi que la fêlure
à travers une tasse, ou la chauve-souris
qui de sa trace raie le soir en porcelaine.
Et nous: spectateurs, en tous temps, en tous lieux,
tournés vers tout cela, jamais vers le large!

#2 Christophe Tarkos
Percussions: Seijiro Murayama
Corps et Voix: Gaël Leveugle

Amour

8

Comme je t’aime, comme je t’aime, dieu seul sait combien je t’aime, loin de toi, je t’aime d’un amour si fort, de toute mon âme, je t’aime plus que tout, loin de toi, dieu seul sait combien je t’aime, l’éloignement est une douleur, car mon amour est si fort et tu ne le sais pas et je t’aime encore et encore, tu ne sais pas que je t’aime, et je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme et je prie dieu de t’aimer, de t’aimer, toi qui ne le sais pas, je t’aime tant, qui te le dira, je t’aime plus que ma vie, plus que l’éloignement, et dieu seul sait combien je t’aime, je t’en aime encore et encore toi qui es si loin de moi, je t’aime d’un amour si entier.

#1 Vélimir Khlebnikov
Musique: Jean-Luc Guillonet
Voix: Gaël Leveugle

LES NOMBRES


Attentivement je vous fixe, ô nombres !
Vous me paraissez habillés comme des bêtes dans leurs
 peaux,
De la main appuyés sur des chênes déracinés.
Vous faites don de l’unité entre le lent serpentement
De l’échine de l’univers et la danse de la libellule,
Vous permettez de compter les siècles comme les dents
 d’un rire bref.
À présent mes prunelles s’ouvrent fatidiquement
Pour savoir ce que Moi sera quand son dividende est
 l’unité.
                                           (1912)